Depuis plusieurs années, le développement de l’Afrique est au cœur des préoccupations des politiques marocaines, portées par la vision éclairée du Roi Mohammed VI. À l’aube de l’année 2024, le continent noir attire plus que jamais l’attention au sein du Royaume, avec une série d’événements significatifs qui le placent au cœur des discussions. La semaine dernière, Bank Al-Maghrib a organisé un Symposium de Haut Niveau sur la stabilité financière en Afrique, tandis que cette semaine, la capitale, Rabat, est le théâtre de l’Africa Investment Forum, arborant le thème évocateur : « Tirer parti des partenariats innovants pour passer à l’échelle supérieure ». La semaine prochaine, l’Africa Financial Industry Summit 2024 rassemblera à nouveau experts et décideurs pour explorer les voies de développement du continent, de ses populations, et de ses entreprises. Le potentiel est vaste, certes, mais les défis qui l’accompagnent sont tout aussi redoutables.
Lors du symposium en question, M. Rama Sithanen, gouverneur de la Banque Centrale de Maurice et président de l’Association Africaine des Banques Centrales, a prononcé un discours d’une grande richesse sur les enjeux économiques et financiers du continent. Il a commencé par rappeler que chaque pays africain possède ses propres spécificités et qu’une approche politique uniforme serait inappropriée. « La stabilité financière, a-t-il souligné, est devenue un objectif encore plus difficile à atteindre en raison d’une constellation de facteurs, dont les incertitudes géopolitiques, les problématiques liées au changement climatique, le niveau élevé d’endettement de nombreux États, et les politiques économiques des pays développés, sans oublier les nouveaux risques émergents. » Il a cité les tensions au Moyen-Orient et le conflit russo-ukrainien, illustrant comment ces éléments ont conduit à un « affaiblissement de la coopération mondiale et à une montée du protectionnisme », rendant ainsi l’Afrique vulnérable à des perturbations commerciales pouvant impacter sa croissance économique et sa stabilité financière.
Une Coordination Indispensable
M. Sithanen a ensuite insisté sur la nécessité d’adopter « une approche coordonnée » pour équilibrer les intérêts nationaux et le besoin de stabilité financière. Il a mentionné le rôle des organisations régionales qui facilitent la convergence des cadres réglementaires et la stabilisation financière. En évoquant des initiatives comme celles du COMESA et de la SADC, il a félicité ces blocs pour leurs efforts dans l’évaluation de la stabilité financière de leurs membres et l’harmonisation des régulations.
Les menaces liées aux changements climatiques, a-t-il affirmé, rendent la tâche encore plus ardue pour maintenir cette stabilité. « Les innovations technologiques, telles que l’intelligence artificielle, offrent des promesses indéniables, mais présentent aussi des risques. » Ainsi, selon lui, il est crucial de trouver cet équilibre délicat entre l’exploitation des nouvelles technologies pour soutenir le développement économique et la gestion prudente des risques associés.
Les restrictions budgétaires et la montée de l’endettement public compliquent également la réactivité des pays face aux enjeux émergents. M. Sithanen a mis en garde contre le lien croissant entre la dette souveraine et les systèmes bancaires du continent, soulignant que cette interdépendance accroît la vulnérabilité de l’ensemble du système financier.
Transformations de la Structure de la Dette
Il a également noté que la composition de la dette en Afrique a évolué, la part de la dette bilatérale chutant de 52 % à 27 % depuis 2000, au profit de la dette commerciale. Les réserves de change, quant à elles, se réduisent, et un tiers des pays d’Afrique subsaharienne ont des réserves qui ne couvrent même pas trois mois d’importations.
À la suite de la pandémie, la hausse des taux d’intérêt a intensifié le coût du service de la dette. Ce contexte appelle à une action urgente, a plaidé M. Sithanen, en encourageant le Comité de Stabilité Financière d’Afrique à proposer des solutions. De plus, l’échéance de l’Africa Growth Opportunity Act pourrait impacter les recettes en devise américaine. Une diplomatie économique renforcée, notamment à travers l’Union Africaine, sera essentielle pour naviguer ces défis.
Il a également évoqué les préoccupations liées au développement durable : une partie significative de la population africaine dépend de ressources naturelles fragiles, nécessitant des actions robustes pour lutter contre le changement climatique. « Les décideurs doivent anticiper les conséquences économiques et financières des événements climatiques et concevoir des politiques pour atténuer ces risques », a-t-il ajouté.
Éclaircies au Milieu des Défis
Cependant, certains points positifs méritent d’être soulignés, tels que la gestion croissante de l’inflation et l’émergence d’institutions financières non bancaires qui favorisent l’inclusion. Néanmoins, il reste crucial de renforcer la régulation de ces entités pour préserver la stabilité du secteur.
Les banques centrales jouent également un rôle clé, bien que leur influence dans la politique macroprudentielle soit encore limitée. M. Sithanen a recommandé une amélioration des cadres de gouvernance pour anticiper efficacement les risques systémiques.
Pour conclure, il a formulé une série de recommandations : redoubler d’efforts pour renforcer les cadres politiques des banques centrales et des régulateurs, diversifier la base économique pour la rendre moins sensible aux chocs externes, et favoriser un commerce intra-africain dynamique pour construire des économies résilientes. Enfin, il a insisté sur la nécessité d’une coopération accrue entre États africains pour affronter ensemble ces enjeux cruciaux.
Son intervention, bien que teintée d’un réalisme préoccupant, ouvre la voie à des initiatives de développement tangibles, nécessitant cependant un consensus entre les leaders politiques et financiers. Le chemin à parcourir s’annonce complexe, tant sur le plan local qu’international.