Par El Mostapha BAHRI, Economiste
Le Conseil de la Concurrence a récemment tenu une conférence à Marrakech, abordant la délicate question de la neutralité concurrentielle et de l’accès aux marchés, le 13 novembre 2024.
Cette rencontre, d’une importance capitale, a rassemblé des représentants des autorités de régulation, divers acteurs économiques et sociaux, des institutions, ainsi que des experts nationaux et internationaux spécialisés dans le domaine concurrentiel. Le président du Conseil a souligné que « Le Maroc est doté d’une réglementation avancée en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et de contrôle des opérations de concentration économique. »
Quatre ateliers ont structuré cette rencontre, examinant : « les entreprises publiques face à la neutralité concurrentielle », « les professions réglementées entre concurrence et régulation », « les interactions entre l’autorité de la concurrence et les régulateurs sectoriels » et enfin « l’accès aux marchés publics, oscillant entre exigences de concurrence et efficacité des dépenses. »
Une question se pose avec acuité : « La possession d’une réglementation développée, qui rejoint nos aspirations libérales et se dresse à côté des normes juridiques en vigueur dans d’autres nations, comme la France, suffira-t-elle à assurer une concurrence saine ? »
Il est indéniable que toute réglementation n’a de sens que si elle est appliquée de manière efficace. Dans les pays développés, l’application des lois sur la concurrence se déroule sans heurts et aboutit régulièrement à des jurisprudences. Hélas, ce n’est pas le cas au Maroc. Les rapports du Conseil révèlent des résultats plutôt mitigés. En 2022, sur 177 décisions et 4 avis rendus, seulement 19 % des décisions concernaient des pratiques anticoncurrentielles.
De plus, un autre niveau de l’application de la loi échappe à la surveillance : les actions menées sur le terrain par des enquêteurs issus de différents départements, ainsi que par les rapporteurs du Conseil, se fondant sur l’article 68 de la loi n° 104-12.
De ce fait, on observe une prolifération des intervenants responsables de l’application des lois sur la liberté des prix et la concurrence, ce qui entraîne une dispersion des actions. D’un côté, des enquêteurs se concentrent sur les pratiques restrictives de la concurrence sur le territoire national, tandis que d’autres, basés à Rabat, se focalisent sur le contrôle des pratiques anti-concurrentielles.
Cette dichotomie engendre un manque de coordination flagrante entre les différents acteurs, contrairement à des pays comme la France, où toutes les entités impliquées relèvent d’un seul ministère, facilitant ainsi les échanges d’informations et la coopération.
En examinant le rapport du Conseil pour l’année 2022, il apparaît que 31 décisions ont été prises, infligeant des sanctions totalisant 72,064 millions de dirhams, principalement en réponse à des plaintes. La gestion des défauts de notification d’opérations de concentration économique souligne encore l’importance d’une structure robuste.
Un autre obstacle majeur réside dans l’absence de formation adéquate pour les enquêteurs, ce qui limiterait leur capacité à identifier des indices de pratiques anti-concurrentielles. La loi sur la concurrence n’est pas simple à appliquer : elle requiert des échanges d’expertise, des séminaires et une formation permanente, et pourtant, cet aspect demeure une préoccupation secondaire pour les autorités compétentes.
Enfin, il est crucial de noter l’absence de passerelles et de coordination entre les diverses catégories d’enquêteurs. Une approche intégrée, favorisant la centralisation des efforts et l’échange d’informations, pourrait considérablement améliorer la situation. Investir dans la formation continue des enquêteurs et établir des connexions solides entre tous les acteurs concernés sont primordiaux pour une concurrence juste et saine.
En somme, malgré une réglementation avancée en matière de concurrence, des défis persistent. La multiplicité des intervenants, le manque d’harmonie et la formation incomplète des enquêteurs sont autant d’éléments qui entravent l’application efficace de la loi. La création d’un cadre collaboratif et l’engagement envers une formation robuste pourraient ouvrir la voie vers une concurrence véritablement équitable, protégeant ainsi les intérêts des petites et moyennes entreprises ainsi que ceux des consommateurs, garantissant une dynamique économique nationale plus inclusive.