À la croisée des chemins, un concept apparaît en filigrane dans les décisions de politique monétaire : le fameux taux neutre. Dans l’expectative de la réunion du Conseil de Bank Al-Maghrib qui se tiendra le 24 septembre, une question s’impose : quel est ce taux d’équilibre qui pourrait orienter l’économie marocaine ? Et surtout, comment la banque centrale manœuvre-t-elle cette variable parfois évanescente ?
Pour éclairer ce sujet ombrageux : le taux neutre, cet incontournable de la politique monétaire, désigne le niveau hypothétique des taux d’intérêt qui n’agissent ni comme une béquille pour la croissance ni comme un frein à l’économie. En d’autres termes, il s’agit du taux d’intérêt réel, ajusté de l’inflation, capable de maintenir l’économie à son plein potentiel, synonyme de croissance stable, d’emploi d’un côté et d’inflation maîtrisée de l’autre. Ce taux est la clé d’une politique monétaire équilibrée.
Néanmoins, saisir ce concept dans toute sa complexité est une tâche herculéenne. Par exemple, les membres du Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (FOMC) expriment des points de vue divergents sur l’évaluation de ce taux : leurs prévisions varient entre 2,4 % et 3,8 %, un delta qui en dit long sur les incertitudes qui règnent. Bank Al-Maghrib, tout comme ses homologues, doit naviguer à travers cette incertitude mouvante pour ajuster son taux directeur, fixé actuellement à 2,75 %. En se penchant sur les économies émergentes, le taux neutre aujourd’hui oscille entre 3,5% et 4%, en intégrant la croissance potentielle et une inflation ciblée à 2%. En pratique, pourtant, rationaliser cet indicateur pour les banquiers centraux demeure un défi quasi inextricable. Les modèles classiques, comme ceux de Laubach et Williams ou les modèles DSGE, même s’ils sont des repères, se heurtent à la complexité d’un monde soumis à des chocs imprévisibles.
Des éléments exogènes qui viennent brouiller les pistes
Si l’énonciation d’un taux neutre semble séduisante dans sa simplicité théorique, son intégration dans la réalité économique est une autre paire de manches. Le Maroc n’échappe pas à ce dilemme, englouti par tout un faisceau de pressions exercées sur ce paramètre. Les effets de la sécheresse sur l’agriculture, les mésaventures de la chaîne d’approvisionnement mondiale et la fluctuation des prix des matières premières ne sont que quelques-uns des aléas à considérer.
Dans cette danse délicate, Bank Al-Maghrib est confrontée à la nécessité de concilier un soutien à l’économie réelle tout en maintenant la stabilité des prix. L’astuce ne réside pas simplement dans l’ajustement du taux directeur. Les dirigeants de la banque centrale, à l’instar d’Abdellatif Jouahri, doivent jongler avec des facteurs exogènes souvent imprévisibles, ce qui rend l’art de la gestion monétaire particulièrement sinueux. Les nuances de l’économie demandent une attention minutieuse.
Mais, la véritable complexité de la situation réside dans le caractère furtif du taux neutre. Comme plusieurs économistes l’ont fait remarquer, ce taux ne se révèle qu’après coup, lorsque l’on constate si l’économie se trouve en surchauffe ou en recul. Cette ambivalence explique pourquoi des figures telles que Jerome Powell ou Christine Lagarde font preuve d’une prudence notable dès qu’il s’agit d’identifier ce niveau théorique…
En observant l’évolution de l’économie dans les mois à venir, des indications claires émergeront sans doute. Une croissance continue, sans flambées inflationnistes majeures, suggérerait que le taux directeur actuel est en phase avec le taux neutre. À l’inverse, des signes de surchauffe pourraient contraindre les autorités à un durcissement de la politique monétaire, afin de contrôler une inflation qui s’emballe.
Un défi de taille pour les banquiers centraux
La recherche du taux neutre n’est pas un phénomène isolé à la sphère marocaine. À l’échelle mondiale, les banques centrales s’évertuent à atteindre cet équilibre précaire. Tandis que la Fed fait référence à sa notion de «R étoile», l’institution marocaine doit, de son côté, ajuster son cadre d’action en tenant compte des particularités de son économie nationale. Les contraintes structurelles du royaume, combinées aux turbulences économiques à l’échelle mondiale, rendent cet exercice d’une délicatesse inouïe.
Les investisseurs, quant à eux, scrutent attentivement les moindres gestes de la banque centrale. Toute indication sur un possibles rapprochement du taux neutre est interprétée comme une orientation stratégique, offrant une visibilité sur les intentions souvent opaque de Bank Al-Maghrib. Néanmoins, il est essentiel de ne pas réduire la politique monétaire à une simple modulation du taux directeur. La Banque centrale doit également prendre en compte des éléments plus globaux : la liquidité des marchés, la stabilité de l’écosystème bancaire et l’évolution des anticipations inflationnistes jouent tous un rôle crucial.
En somme, la réunion de demain au Conseil de Bank Al-Maghrib ne tranchera probablement pas sur la question précise du taux neutre, mais elle permettra sans doute de dissiper certains nuages sur l’état de notre économie et les futures orientations de la politique monétaire. Actuellement, il semble que la priorité de la banque centrale soit de guider graduellement l’économie marocaine vers un sentier de croissance équilibré tout en se gardant des excès inflationnistes.